Chapitre 19

Toute une effervescence pour une simple ceinture de métal.

Du statut d'un homme sans identité et sans passé, je me retrouve bien vite propulsé au statut de célébrité et de champion, avec un nom, un titre, une notoriété. C'était soudain, trop peut-être pour m'en rendre compte moi-même. Je suis le champion suprême de la FWE, c'est devenu un fait. J'ai surmonté ma haine inexplicable envers mon adversaire, et je l'ai battu, c'est encore un fait. Faut-il pourtant se relâcher, se dire que le plus gros est passé ? Non, loin de là. Cette ceinture est une cible braquée sur ma tête, devenant l'homme à abattre. J'imagine que certains lutteurs vont profiter de l'occasion pour réclamer le droit de me défier et espérer remporter cette ceinture. A commencer par celui qui a déjà failli une fois : Gekko, Desmond Gekko.

Cependant je reste déçu. Je n'ai pas trouvé ce que je recherchais dans ce match : des réponses.

J'ai délaissé un temps mes recherches pour me préparer à ce combat, mais en vain. Tout ce que j'ai gagné, c'est ce titre symbolique. Juste symbolique, car il n'a pas provoqué de changement dans mon être. Je suis toujours Alpha, celui qui n'a pas de passé, pas de mémoire, pas d'identité définie. Je ne suis pas Allan Philip Harmore, je le sais au fond de moi. Et jusqu'à preuve du contraire, je ne m'appellerai pas comme cela. Je ne serai rien d'autre qu'Alpha. Cette carte d'identité, ce passeport, ce permis de conduire, que du vent, des foutaises. Rien n'est vrai.

Je regarde ma main, mon tatouage. C'est le néant dans ma tête, pas de souvenirs. Pas même l'infime douleur que procure l'implantation de l'encre dans la peau. A se demander si je suis vraiment humain. Comme né il y a seulement un mois, déjà vieux, mais sans identité. Lâché dans la jungle urbaine avec pour seul outil son instinct son sens de l'analyse. Qui peut bien vouloir préserver quelqu'un comme moi ? Un homme qui en sait beaucoup.

Je suis perdu, mais pas mort.

Il me faut du café.

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C'est toujours un plaisir de conduire ce bolide, le vrombissement des chevaux-vapeurs sonne comme une douce symphonie à mes oreilles. Sensation de vitesse exacerbée, adrénaline qui monte, grisant, prenant, un bonheur de courte durée car je suis déjà arrivé au centre-ville, et surtout au petit café dont je suis désormais un fidèle client. Leur expresso est excellent, je le déguste avec délectation, assis à une table dans un coin, seul. Le café coule le long de mon appareil digestif en une douce chaleur, ça fait du bien. Je règle la note, avec pourboire, et je m'apprête à partir lorsque je tombe nez à nez avec une jeune femme, manquant de renverser son café. Je m'excuse, la brune me répond par un sourire ravissant avant de s'assoir à ma place.

Je suis dehors quand j'entends une sonnerie. Celle d'un portable, le mien. Sur le coup, je n'ai pas réalisé, je ne m'y attendais pas. Personne ne connait mon numéro, pas même moi. A part celui qui m'avait envoyé un texto il y a quelques semaines de cela. Je sors mon téléphone de la poche de mon manteau, numéro inconnu. Il fallait s'en douter. Question à deux dollars : je décroche ou pas ? La sonnerie continue de retentir, j'accepte l'appel.

Alpha : Allô ?

Voix : Bonjour Allan.

Alpha : Qui êtes-vous ?

Voix : peu importe mon nom, disons que pour vous, je suis votre ange gardien.

Alpha : C'est vous qui aviez payé ma caution la dernière fois ?

Voix : Tout à fait. Je suis là pour vous aider, Allan.

Alpha : Bien, alors dites-moi qui je suis réellement.

Voix : Je ne peux pas le dévoiler, pas maintenant. Il est trop tôt.

Alpha : C'est de ma vie qu'on parle là ! Vous osez me dire que je ne peux pas savoir qui je suis ? Et vous pensez m'aider ?

Voix : Trop complexe pour vous l'expliquer par téléphone. Je vous demande juste de me faire confiance.

Alpha : Faire confiance à un parfait inconnu, très peu pour moi. Montrez-vous, qu'on s'explique de vive voix !

Voix : Je me dévoilerai le moment voulu. En attendant, Allan, suivez mes instructions. Vous vous souvenez de cette jeune femme que vous avez croisé tout à l'heure au café ? Allez la voir et parlez-lui.

Alpha : Pourquoi ? Allô ? ALLO ?

Plus personne au bout du fil. Aucun moyen de rappeler, numéro inconnu. L'ange gardien a finalement parlé, mais au lieu de m'apporter des réponses, il m'en fait poser d'autres. Et cette femme, qui peut-elle bien être pour que je dois lui parler ? Qu'une seule chose à faire.

Je retourne dans le café.


Nuit pleine, lune absente, j'ai du mal à dormir, tout se chamboule dans ma tête.

Assis sur mon lit, j'essaie de remettre de l'ordre dans mon esprit. Qui est cet homme au téléphone ? il en sait long sur moi mais pourquoi ne veut-il rien me dire ? Ca va trop vite, j'ai peur de perdre pied, et rien pour m'accrocher. Comme à la FWE, déjà trois hommes pour vouloir me reprendre une ceinture. Un revanchard, un arriviste, et un battant. Les trois ne doivent pas être sous-estimés. J'ai déjà fait une erreur avec Gekko, pas question de retomber dans le piège. Si nous devions nous affronter de nouveau, il risque fort de gagner cette fois-ci. Je dois m'y préparer. Je suis l'homme à abattre, situation d'autant plus difficile que ce n'est pas ma priorité. Mon but a toujours été le même, trouver qui je suis. Etre champion, porter une ceinture, représenter une fédération, tout cela n'est que dérisoire, du vent. Je le fais parce que je n'ai pas le choix, par contrat. Non par plaisir.

Je me retourne, regarde celle qui partage mon lit en ce moment même, dormant paisiblement à demi nue. Elle dit s'appeler Alicia. Alicia Phallens. J'ignore encore en quoi elle va m'aider, mais elle porte des signes qui ne trompe pas quant à son importance dans cette tortueuse affaire.

Elle n'a plus de passé, tout comme moi.
Son nom compose le mot Alpha, tout comme le mien.
Elle porte un tatouage, un Alpha, tout comme moi. Sur son omoplate droit.
Avec le numéro 3 en rouge.

Je ne suis pas seule victime.