Des litres de café, des heures devant le PC, le journal ou la télévision, afin de m'informer sur le monde qui m'entoure, et m'est pratiquement étranger. Sentiment troublant et surtout frustrant, car même l'Histoire m'est inconnue. Je ne m'explique pas comment je sais encore parler couramment sans défaut, ni mes différentes aptitudes de combat, ou même comment vivre, tout simplement. Le conditionnement, la répétition, tout cela permet l'ancrage de certaines mœurs et habitude dans notre sang, dans nos gènes. Possible… Probable. Ce n'est pourtant pas ce qui m'importe à l'heure actuelle.
Ce que je veux, c'est me connaître, retrouver mon identité… ma véritable identité.
Car au fond de moi, je ne m'appelle pas Alan Philip Harmore, je ne suis pas de Baltimore, je ne suis pas lutteur. Je le sais au fond de moi. Sinon pourquoi cette mystérieuse ombre au-dessus de ma tête balayant tous les travers que je laisse sur mon passage, comme ce très bref séjour au poste, libéré sans verser de caution, par un simple coup de téléphone ? Qui diable veut tant me préserver des coups du sort ? Ou plutôt devrais-je dire… qui veut me voir souffrir ainsi ? Plus j'avance, plus je tombe dans le doute, l'incompréhension, le chaos. Mon seul fil d'Ariane, c'est cet instinct qui me guide, cette intuition innée dictant mes gestes, comme cette envie de rouler plus vite, plus loin.
Qui suis-je, bon sang !
Je m'expose de plus en plus, je monte les échelons de la fédération, sans vraiment m'y intéresser. Les regards sont braqués sur moi comme étant celui qui a fait soumettre un maître de la discipline. La FWE semble porter un grand intérêt à ma personne, et certains lutteurs également. Je remporte un quart de finale de la même manière, mais je n'en ressens pas de la joie, ni même du contentement. Je me bats, je gagne, je touche une prime, je rentre chez moi. Une routine, la simplicité même. Je ne vois pas encore la symbolique de mettre au pas un lutteur technique, ou de battre un homosexuel extraverti. Et il en sera certainement de même en demi ou en finale. A part dans un scénario, face à un homme. Gekko. Desmond Gekko. Je ne le connais pas, mais au fond de moi un feu grandit, me ronge de l'intérieur, me pousse à le haïr de toutes mes forces. Le feu s'éteint, je ne vois pas ce qu'il a bien pu me faire, ni même quel genre de relation nous lie. Etranger à mes yeux, familier dans mon esprit malade.
En fait, tout autour de moi n'est que noir et blanc, rien qui sorte de l'ordinaire, rien qui s'en dégage. Sans identité, pas d'intégration véritable, pas de vie à savourer à chaque instant. Même les plus petits plaisirs comme ce breuvage noir et corsé que j'aime pourtant déguster ne me contentent pas. Même l'afflux d'adrénaline provoquée par la vitesse au volant d'un puissant bolide, ou la tranquillité procurée par une habitation spacieuse, insonorisée et confortable n'arrive à dessiner un sourire sur mon visage.
Au fond, je me demande si je ne suis pas mort. Si tout cela n'est qu'un rêve.
Curieux tatouage.
Chaque dessin a une signification cachée, et c'est d'autant plus vrai pour les symboles. Un Alpha blanc incrusté d'un 4 rouge. Quelle est sa signification ? Pourquoi en un endroit aussi remarqué que le revers de la main ? Mes mains ne sont pas celles d'un travailleur, aucune crevasse, aucune callosité sur les paumes. Juste de légères abrasions sur les articulations au dos, encore et encore. Des marques issues de nombreux combats. Je ne me souviens pas.
On sonne à la porte, un coursier m'apporte un paquet, et me demande de signer l'accusé de réception. Cela vient tout seul, un Alpha grec et un 4. Dans mes gènes, une habitude depuis longtemps prise, inconsciemment. Je remercie d'un geste de la tête l'employé et referme la porte. J'ouvre le colis, un portable noir esthétiquement léché, estampillé d'une pomme croquée argentée en guise de logo. Une nouvelle énigme s'ajoute au puzzle. Je l'allume. Pas de numéros dans le répertoire. Je ne sais même pas comment je fais pour le manipuler si facilement. Je verrai plus tard.